Le Silence des martyres – 1

Son dernier crépuscule
S’enflammait de griffures ;
Une obscurité sourde
Rongeait les bâtiments.

Il fau­drait vi­vre avec lé­gè­reté, et cul­ti­ver le bon­heur par élé­gance, car l’homme est un pau­vre ani­mal qui se dé­fi­gure vite.
Une pe­tite co­lère a du charme, mais vire au gro­tes­que si elle en­fle. De même, une douce lan­gueur irise le re­gard, alors qu’une dé­pres­sion, fût-elle té­nue, est sor­dide.

Il rentrait le cœur blanc
Et la poche lestée
D’un vrai rasoir à lame
Qu’il avait acheté.

Mais dans ce monde qui ne ren­voie au­cun écho, se dit-il, vi­vre est un achar­ne­ment.

Son bain chaud l’étreignait ;
De longs filets de pourpre
Germaient de ses poignets
Comme des fleurs diaphanes…

T. C.


Ce poème fait partie d’un diptyque.

Haïkus des montagnes

Nous sou­hai­tions fê­ter les deux ans de no­tre site avec des in­vi­tés. Merci à Marie-Catherine pour sa con­tri­bu­tion :


« Ah ! Elle est presque bonne. »
Dans le lac Miroir
La montagne se trouble




Sauterelles, grillons, criquets
Quelles différences ?
Leurs sauts toujours me devancent




Je les vois dans le ciel
Je les sens au loin
Les moutons éparpillés




Du Pic Ouest j’observe
Le lac de Souliers
Comme il parait riquiqui




La marmotte sur son séant
Sage méditant
Des brumes sort la Taillante

Marie-Catherine Beluche

Le Silence des martyres – 2

À Virginia Woolf

Le soleil de midi
Accablait de chaleur ;
Elle approchait du fleuve
Aux rives solitaires.

Je suis le chêne, je suis la bi­che ; je suis le ver, je suis la foule. Je suis l’ar­doise et le pavé, je suis le prince et le bossu, la rose et la tem­pête.

Elle arpentait la grève,
Et saisie de vertiges,
Amassait des galets
Dans ses poches profondes.

Je suis l’ins­tant qui meurt, je suis l’ins­tant qui vient, et ja­mais ne me re­pose.

Sa robe dans l’eau claire
Ondulait comme une algue,
Son regard se noya
Dans le reflet du monde…

T. C.


Ce po­ème, qui fait par­tie d’un dip­ty­que, a paru dans le nu­méro 2 du Co­que­li­cot Re­vue.

Avril

Pff, que m’importe avril !
Que m’importent les pies,
Les primevères graciles,
Les parasols, les grills…

« Adieu, bonnets de laine !
Rhumes, gants et mitaines ! »
Diront les amoureux,
L’avenir devant eux.

« Au placard les froidures !
Bienvenue, ciel d’azur ! »
Lanceront les frileux,
Du soleil plein les yeux.

Pourtant, moi, je grelotte,
Le cœur plein d’engelures,
La gaîté en pelote
Et la peine en boutures.

Mon printemps, où est-il,
Si ce n’est en avril ?
Quand est-ce que l’hiver
Changera d’hémisphère ?

C. D.

Dans mon cœur

Dans mon cœur carotte, jardin des envies,
Vivaient les lutins de mes fantaisies.
Sur mon cœur crocus, éden des dandys
Dansaient les encens de mes poésies.

Et dans ce cœur-là, tapissé de moire,
Pareil aux palais des grands rois bulgares,
Dans ce lit nuptial, sans aucun égard,
S’aimaient la tristesse et le désespoir.

C. D.