Sous le soleil
De vos beautés,
Mon cœur a si longtemps nagé
Dans une mer
De volupté
Que mes prunelles sont brûlées…
Voyez ! Il se noie dans son cours !
Embarquez-moi dans votre amour !
Sous le soleil
De vos beautés,
Mon cœur a si longtemps nagé
Dans une mer
De volupté
Que mes prunelles sont brûlées…
Voyez ! Il se noie dans son cours !
Embarquez-moi dans votre amour !
Trois lycéennes à talons hauts
Rentrent des cours en s’attardant
Aux devantures des boutiques.
Demain, je sèche la philo.
Quand il devint parisien en 1745, le marquis de Vauvenargues prit l’habitude de s’asseoir sur un banc pour regarder vivre la foule.
Un jour lui vint cette pensée : « Le monde est un grand bal où chacun est masqué. »
De jeunes gens décontractés
Boivent une bière à la terrasse
D’un bar aux meubles surannés.
Qui m’accompagne au marché bio ?
Une autre fois, il écrivit : « Les hommes sont tellement nés pour dépendre, que les lois mêmes, qui gouvernent leur faiblesse, ne leur suffisent pas ; la fortune ne leur a pas donné assez de maîtres ; il faut que la mode y supplée, et qu’elle règle jusqu’à leur chaussure. »
Deux amoureux qui se régalent
De leur biscuit choco-pépites
Font un selfie où ils s’embrassent :
Instant complice entre gourmands !
T. C.
José-Maria de Heredia était un poète parnassien qui savait se montrer romantique…
Quand l’aigle a dépassé les neiges éternelles,
À sa vaste envergure il veut chercher plus d’air
Et le soleil plus proche en un azur plus clair
Pour échauffer l’éclat de ses mornes prunelles.
Il s’enlève1. Il aspire un torrent d’étincelles.
Toujours plus haut, enflant son vol tranquille et fier,
Il monte vers l’orage où l’attire l’éclair ;
Mais la foudre d’un coup a rompu ses deux ailes.
Avec un cri sinistre, il tournoie, emporté
Par la trombe, et, crispé, buvant d’un trait sublime
La flamme éparse, il plonge au fulgurant abîme.
Heureux qui pour la Gloire ou pour la Liberté,
Dans l’orgueil de la force et l’ivresse du rêve,
Meurt ainsi d’une mort éblouissante et brève !
José-Maria de Heredia,
Les Trophées, 1893
1. Prend son envol.
Je suis aveugle et je suis sourde.
Je fais du monde un grand théâtre
Qui n’obéit qu’à mes caprices ;
Résigne-toi, pauvre garçon.
Tant d’hommes souffrent de misère,
De quelque grave maladie
Ou d’une guerre qui fait rage…
Songes-y bien, pauvre garçon.
Puisque ta vie est un désert
D’indifférence et d’abandon,
Tu trouveras la mort bien douce ;
Remercie-moi, pauvre garçon.
T. C.
Ce poème est imité d’un sonnet de Lope de Vega, un auteur du Siècle d’or espagnol.
Superbes monuments de l’orgueil des humains,
Pyramides, tombeaux dont la vaine structure
A témoigné que l’art, par l’adresse des mains
Et l’assidu travail, peut vaincre la nature !
Vieux palais ruinés, chefs-d’œuvre des Romains
Et les derniers efforts de leur architecture,
Colisée, où souvent ces peuples inhumains
De s’entre-assassiner se donnaient tablature1.
Par l’injure des ans vous êtes abolis,
Ou du moins la plupart vous êtes démolis !
Il n’est point de ciment que le temps ne dissoude2.
Si vos marbres si durs ont senti son pouvoir,
Dois-je trouver mauvais qu’un méchant pourpoint3 noir
Qui m’a duré deux ans soit percé par le coude ?
Paul Scarron,
Les Œuvres burlesques de Mr Scarron – IIIe partie, 1651
1. Se donnaient du mal pour.
2. Licence pour la rime.
3. Vêtement d’homme, en usage du XIIIe au XVIIe siècle en Europe, qui couvrait le torse jusqu’au-dessous de la ceinture.
Partout l’infini morne et l’écho de l’hiver
L’implacable cafard et les ombres gercées
Piétinent dans la boue de mon cœur enneigé
Tout se fronce et partout
Mon âme s’exaspère
Ses pattes sur mon crâne et s’égoutte son fiel
Comme un filet d’effroi dans mon dos révulsé
Il gratte jusqu’aux flancs de mon front déserté
Lambeaux de chair
Lambeaux de rêve aux vents amers
Les ailes atrophiées dessous sa carapace
Je regarde le sol et le temps qui s’en va
Le spasme dans mes pas
Qui s’arquent de nervures
J’ouvre une gueule exsangue et crie contre le jour
Râle immense qui meurt en lui-même et m’étouffe
Solitude éternelle
Et qui ne s’entend plus
T. C.
Grisélidis Réal était poétesse, peintre et prostituée ; en 2002, on lui diagnostiqua un cancer grave.
À toutes les Prostituées, disparues et vivantes
À Fabiana
Sous le tranchant d’un couperet de marbre
Marquant le deuil de ma vie envolée
Je serai nue sous un linceul de neige
Enveloppée de feuilles et de terre
Aux cris funèbres des corbeaux de novembre
Sous un ciel noir au soleil disparu
Que reste-t-il de ce corps oublié
De cette chair qui fut si convoitée
Autrefois belle, adorée, caressée,
Que reste-t-il de ces yeux étoilés
De ce sourire, de cette bouche tendre
De tous ces mots prononcés et perdus
De ces bras doux qui vous ont tant serrés
De ces mains refermées sur tant de sexes
De ces seins ronds et de ce ventre ouvert
À vos désirs, vos souffles, vos baisers
Que reste-t-il des cris et des caresses
Que reste-t-il des soupirs, des silences
De tant d’amour donné vendu payé
De tant de rires et de gémissements
De compassion, de peur, d’étonnements
Ces quelques pierres muettes et des fleurs
Et le printemps venu comme un voleur
Ses chants d’oiseaux assourdis de chaleur
Et le vent fou venu de l’océan.
Genève, le 15 novembre 2002
Grisélidis Réal,
À feu et à sang, 2003
Comme la nuit qui recrache
Des bouts de ciel alanguis
Tu pris mon cœur et tu fuis
Le laissant là sans rivage
Comme un reflux sur la roche
S’il te réclame à toute heure
Comme l’embrun qui se meurt
Noyé de pleurs il s’écorche
La lune est belle et si calme
Un vent la vêt de nuages
Et je suis seul en ma nuit
Comme l’amour et la mer
S’en vont au large et se perdent
Je t’adore et te vomis
T. C.