Le Cri du silence

Partout l’infini morne et l’écho de l’hiver
L’implacable cafard et les ombres gercées
Piétinent dans la boue de mon cœur enneigé
Tout se fronce et partout
Mon âme s’exaspère

Ses pattes sur mon crâne et s’égoutte son fiel
Comme un filet d’effroi dans mon dos révulsé
Il gratte jusqu’aux flancs de mon front déserté
Lambeaux de chair
Lambeaux de rêve aux vents amers

Les ailes atrophiées dessous sa carapace
Je regarde le sol et le temps qui s’en va
Le spasme dans mes pas
Qui s’arquent de nervures

J’ouvre une gueule exsangue et crie contre le jour
Râle immense qui meurt en lui-même et m’étouffe
Solitude éternelle
Et qui ne s’entend plus

T. C.

Nocturne

Comme la nuit qui recrache
Des bouts de ciel alanguis
Tu pris mon cœur et tu fuis
Le laissant là sans rivage

Comme un reflux sur la roche
S’il te réclame à toute heure
Comme l’embrun qui se meurt
Noyé de pleurs il s’écorche

La lune est belle et si calme
Un vent la vêt de nuages
Et je suis seul en ma nuit

Comme l’amour et la mer
S’en vont au large et se perdent
Je t’adore et te vomis

T. C.

Fugue héroïque

au chevalier Bayard,
le bon chevalier sans peur et sans reproche

Ses beaux yeux m’ont bercé plus avant que la nuit
Où le monde en un cri de douleur se rétracte
Où résonnent le vide et mon cœur qui se braque
Que suffoquent l’écume et l’espoir aboli

Quand le monde en un cri de douleur se rétracte
Le soleil reste bleu dans le ciel assombri
Que suffoquent l’écume et l’espoir aboli
Sous le glas du grand deuil la cadence du glas

Le soleil reste bleu dans le ciel assombri
Je souffre le martyre et martyr fais un pas
Sous le glas du grand deuil la cadence du glas
Une armure un cheval et qui m’aime me suive

Je souffre le martyre et martyr de ce pas
M’en vais aux vents du jour que je foule en sa lie
Une armure un cheval et qui m’aime me suive
Le chemin reste vierge qui mène au grand soir

T. C.

Ratapoil, immobile et songeur

Or voici Ratapoil, immobile et songeur
– Bercé par le roulis monotone du train –
Le nez contre la vitre, un vieux livre à la main,
Qui regarde passer la campagne au dehors…

Prés, bosquets, tournesols, vignes à flanc de coteau
– Ici, le sol poudroie sous les roues d’un tracteur –
Vert tendre, éclats rieurs – là serpente un ruisseau –
Le vent froisse les blés, des nuages moutonnent…

Un palais se dessine, un cheval, un navire,
Un monstre sanguinaire, et sa belle Angélique –
Chevelure effleurant les confins du ciel bleu…

« Les amants d’autrefois – se dit-il soudain blême –
« Gravaient leur lien d’amour dans l’écorce des chênes,
« Quand le mien s’effiloche en nuées vaporeuses… »

T. C.

Conte d’ici – ici règne

Na­guère, un homme qui ha­bi­tait dans une ville de taille mo­deste, loin des re­mous du temps, se ren­dit pour quel­ques jours dans la ca­pi­tale de son pays.

L’amour du luxe y ré­gnait ; il vit des ap­pa­reils nu­mé­ri­ques, des chaus­set­tes, des vien­noi­se­ries pré­sen­tés en vi­trine comme des bi­joux. Il croisa des sil­hou­et­tes non­cha­lan­tes et so­phis­ti­quées, sur­prit quel­ques gra­ves con­fi­den­ces de pré­oc­cu­pa­tions lé­gè­res, et vit s’ébat­tre une jeu­nesse frin­gante, ai­sée, ivre d’elle-même.

Des gens y bra­vaient le froid, la nuit, dans des fi­les d’at­tente à l’en­trée de lieux à la mode. D’au­tres dor­maient dehors ; il vit des vi­sa­ges éden­tés, des peaux mar­quées de cou­pe­rose et des corps abî­més, dé­ca­tis.

Sur le che­min du re­tour, dans le train, il écri­vit ce po­ème :

Ici règne un été
Qui jamais ne s’achève ;
Là mugissent les vents
D’un hiver éternel.

Et le monde pourtant
Continue de tourner…

T. C.

F.

Ce mois-ci, Re­née Ri­vière nous of­fre de nou­veau une belle con­tri­bu­tion :


Le désir de le revoir,
De recroiser son chemin
A laissé dans mon regard

Un arrière-goût d’amer
Quand je repense à l’amour :
Je ne vois que mes erreurs.

Vous recroiserai-je un jour ?
Voudrez-vous enfin m’aimer ?
Je vous attends d’heure en heure.

Envoi :
D’heurts en heurs, je vous attends.

Renée Rivière,
Mirages d’amour – Tous les hommes s’appellent François