Le Marquis de Vauvenargues

Trois lycéennes à talons hauts
Rentrent des cours en s’attardant
Aux devantures des boutiques.
Demain, je sèche la philo.

Quand il de­vint pa­ri­sien en 1745, le mar­quis de Vau­ve­nar­gues prit l’ha­bi­tude de s’as­seoir sur un banc pour re­gar­der vi­vre la foule.
Un jour lui vint cette pen­sée : « Le monde est un grand bal où cha­cun est mas­qué. »

De jeunes gens décontractés
Boivent une bière à la terrasse
D’un bar aux meubles surannés.
Qui m’accompagne au marché bio ?

Une au­tre fois, il écri­vit : « Les hom­mes sont tel­le­ment nés pour dé­pen­dre, que les lois mê­mes, qui gou­ver­nent leur fai­blesse, ne leur suf­fi­sent pas ; la for­tune ne leur a pas donné assez de maî­tres ; il faut que la mode y sup­plée, et qu’elle règle jus­qu’à leur chaus­sure. »

Deux amoureux qui se régalent
De leur biscuit choco-pépites
Font un selfie où ils s’embrassent :
Instant complice entre gourmands !

T. C.

Prosopopée de la Fortune

Je suis aveugle et je suis sourde.
Je fais du monde un grand théâtre
Qui n’obéit qu’à mes caprices ;
Résigne-toi, pauvre garçon.

Tant d’hommes souffrent de misère,
De quelque grave maladie
Ou d’une guerre qui fait rage…
Songes-y bien, pauvre garçon.

Puisque ta vie est un désert
D’indifférence et d’abandon,
Tu trouveras la mort bien douce ;
Remercie-moi, pauvre garçon.

T. C.

Le Cri du silence

Partout l’infini morne et l’écho de l’hiver
L’implacable cafard et les ombres gercées
Piétinent dans la boue de mon cœur enneigé
Tout se fronce et partout
Mon âme s’exaspère

Ses pattes sur mon crâne et s’égoutte son fiel
Comme un filet d’effroi dans mon dos révulsé
Il gratte jusqu’aux flancs de mon front déserté
Lambeaux de chair
Lambeaux de rêve aux vents amers

Les ailes atrophiées dessous sa carapace
Je regarde le sol et le temps qui s’en va
Le spasme dans mes pas
Qui s’arquent de nervures

J’ouvre une gueule exsangue et crie contre le jour
Râle immense qui meurt en lui-même et m’étouffe
Solitude éternelle
Et qui ne s’entend plus

T. C.

Nocturne

Comme la nuit qui recrache
Des bouts de ciel alanguis
Tu pris mon cœur et tu fuis
Le laissant là sans rivage

Comme un reflux sur la roche
S’il te réclame à toute heure
Comme l’embrun qui se meurt
Noyé de pleurs il s’écorche

La lune est belle et si calme
Un vent la vêt de nuages
Et je suis seul en ma nuit

Comme l’amour et la mer
S’en vont au large et se perdent
Je t’adore et te vomis

T. C.

Fugue héroïque

au chevalier Bayard,
le bon chevalier sans peur et sans reproche

Ses beaux yeux m’ont bercé plus avant que la nuit
Où le monde en un cri de douleur se rétracte
Où résonnent le vide et mon cœur qui se braque
Que suffoquent l’écume et l’espoir aboli

Quand le monde en un cri de douleur se rétracte
Le soleil reste bleu dans le ciel assombri
Que suffoquent l’écume et l’espoir aboli
Sous le glas du grand deuil la cadence du glas

Le soleil reste bleu dans le ciel assombri
Je souffre le martyre et martyr fais un pas
Sous le glas du grand deuil la cadence du glas
Une armure un cheval et qui m’aime me suive

Je souffre le martyre et martyr de ce pas
M’en vais aux vents du jour que je foule en sa lie
Une armure un cheval et qui m’aime me suive
Le chemin reste vierge qui mène au grand soir

T. C.

Ratapoil, immobile et songeur

Or voici Ratapoil, immobile et songeur
– Bercé par le roulis monotone du train –
Le nez contre la vitre, un vieux livre à la main,
Qui regarde passer la campagne au dehors…

Prés, bosquets, tournesols, vignes à flanc de coteau
– Ici, le sol poudroie sous les roues d’un tracteur –
Vert tendre, éclats rieurs – là serpente un ruisseau –
Le vent froisse les blés, des nuages moutonnent…

Un palais se dessine, un cheval, un navire,
Un monstre sanguinaire, et sa belle Angélique –
Chevelure effleurant les confins du ciel bleu…

« Les amants d’autrefois – se dit-il soudain blême –
« Gravaient leur lien d’amour dans l’écorce des chênes,
« Quand le mien s’effiloche en nuées vaporeuses… »

T. C.

F.

Ce mois-ci, Re­née Ri­vière nous of­fre de nou­veau une belle con­tri­bu­tion :


Le désir de le revoir,
De recroiser son chemin
A laissé dans mon regard

Un arrière-goût d’amer
Quand je repense à l’amour :
Je ne vois que mes erreurs.

Vous recroiserai-je un jour ?
Voudrez-vous enfin m’aimer ?
Je vous attends d’heure en heure.

Envoi :
D’heurts en heurs, je vous attends.

Renée Rivière,
Mirages d’amour – Tous les hommes s’appellent François