Tristan Colovray • Céline Dumas
Les bons et friands morceaux
Réconfortent la poitrine
S’ils sont avalés tout chauds…
Pour les appétits nouveaux,
Cuisinez des plats sans sauce,
Évitez l’excès d’épices :
Il suffit d’une perdrix
Bien tendre et maigre de peau,
Travaillée fine au couteau…
Cette année, Tristan Colovray proposera de nouveau des fragments de son travail sur Diogène de Sinope.
Entraînez-vous, disait notre homme ; une âme s’épanouit avec vigueur quand elle s’enracine dans un corps ferme.
Savez-vous qu’en devenant sédentaires, nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ont en moyenne perdu non seulement 30% de masse musculaire et squelettique, mais également 200 cm3 de cerveau ?
À bien y songer, est-ce vraiment étonnant ?
Quand vous êtes malades, par exemple, et que vous souffrez, votre âme est-elle bonne à quoi que ce soit, ou la sentez-vous dépérir ?
Allons plus loin : une simple coupure au doigt n’est-elle pas quelquefois une entrave à la vie intérieure ?
À l’inverse, une parfaite forme physique suscite dans l’âme de nobles conceptions.
Entraînez-vous, disait notre homme ; entraînez votre âme autant que votre corps. L’exercice corporel pratiqué sans le maintien d’une âme solide est un chemin de corruption.
T. C.
Dans ce poème de « contr’amour », Philippe Desportes s’amuse de la poésie ronsardienne.
Est-il vrai qu’autrefois j’aie1 tant enduré
Pour des yeux que je vois sans plaisir et sans peine ?
Où sont tant d’hameçons dont elle était si pleine ?
Qu’est devenu ce poil crêpement2 blond doré ?
Je regarde ébahi son teint décoloré
Dont l’éclat autrefois la rendait si hautaine,
Et me moque à part moi de ma poursuite vaine,
Remerciant le temps qui m’en a retiré.
Ce que de mes amis le conseil salutaire,
L’absence, et les dédains, en moi n’avaient su faire,
Le cours du temps l’a fait, de mon amour vainqueur :
Et guérissant mon âme, enfin m’a rendu sage.
Car lorsqu’il vous ôta les roses du visage,
Lors même il m’arracha les épines du cœur.
Philippe Desportes,
« Diverses Amours et autres œuvres mêlées », Premières Œuvres, 1573
1. Le e entre dans la mesure du vers.
2. Avec des ondulations de crêpe.
Il y a, au paradis des musulmans,
Des rivières d’eau, de lait, de miel et de vin,
Des arbres chargés de fruits toujours mûrs à point,
De luxuriants parterres de fleurs, un sol de safran…
Il y a des salons, aménagés à l’ombre des feuillages
Avec de somptueux tapis, des coussins couverts de soie,
Des sièges ornés de pierres qui scintillent,
De hauts lits de repos, d’où l’on cueille des fruits…
Il y a, au paradis des musulmans,
Du pain, de la viande et des douceurs qui flattent le palais,
Servis dans de la vaisselle d’or par des garçons pubères,
Dont tintent les bracelets d’argent…
Il y a des tentes, qui sont d’immenses perles creuses,
Où vivent retirées, pour chaque homme, deux épouses très belles,
Tendres jeunes femmes aux grands yeux,
Dont la virginité se restaure, et qu’on déflore à souhait…
Cette éternité de délices n’est-elle pas alléchante ?
Cependant, on peut espérer mieux : d’après certains, celui qui témoigne de la grandeur d’Allah par son sang, et tombe en martyr, jouira en récompense de soixante-dix vierges de plus…
Voilà d’où vient l’enthousiasme forcené des terroristes qui poignardent, égorgent et mitraillent. Leur imagination s’enfièvre de fantasmes, et ils courent à la mort.
S’ils se masturbaient davantage, de tels individus ne perdraient pas ainsi la raison.
T. C.
Voici un poème qui touche par son refus de l’élégiaque.
Personne ne t’aime :
C’est tant pis pour toi.
Tu n’aimes personne :
Tant pis pour personne.
C’est triste quand même.
Que non. C’est la Loi,
Et la Loi c’est neutre,
C’est du papier froid,
Des gendarmes droits.
Respect à la Loi.
Jean Angeli,
La Métairie de Jean l’Olagne, 1925
Notre homme se fit connaître en intervenant sur les réseaux sociaux.
Un jour, il vit sur Instagram un athlète arborant une médaille sur son torse nu, le visage radieux. Celui-ci exprimait en légende sa fierté d’être le nouveau champion olympique du 100 mètres, et il fit ce commentaire :
– Une gazelle court plus vite que vous.
– Mais je surpasse tous mes congénères, lui opposa l’individu.
– Applaudiriez-vous la fourmi la plus rapide au monde ?
– Serait-elle admirable ? Vous ne soupçonnez pas l’héroïsme noir qu’il y a derrière ma performance ; vous ne soupçonnez pas la discipline et l’exercice qu’elle suppose. Vous n’imaginez pas les coups durs, les heures lasses, l’obstination à la peine et les bonheurs sacrifiés…
– Vos propos sont poignants, répliqua notre homme. Vous avez de gros muscles et une médaille en or ; vous êtes le jouet de votre amour propre.
T. C.
Tristan l’Hermite nous offre ici un poème à méditer…
Un chasseur rencontrant un sanglier d’aventure
Que d’une pertuisane1 il perça bravement ;
Marcha sur un aspic2 dans le même moment,
Qui lui fit à la jambe une grande blessure.
Tous trois sont outragés, et vengés d’une injure,
Par dessein, par hasard, et par ressentiment :
Et chacun tout à coup ressent mortellement
Le fer, le talon brusque et la vive pointure3.
Sur ces trois accidents arrivés à la fois,
Chacun frémit, ou siffle, ou se plaint dans le bois,
Touché d’une douleur qui n’a point d’allégeance4.
Et du dernier sommeil pressés en même temps,
Tous trois sont malheureux, et tous trois sont contents,
Voyant devant leurs yeux leur mort et leur vengeance.
Tristan l’Hermite,
La Lyre du sieur Tristan, 1641
1. Lance terminée par un fer triangulaire.
2. Vipère.
3. Piqûre.
4. Allégement, atténuation, soulagement.
Quelqu’un lui expliqua un jour qu’il fallait considérer les programmes d’intelligence artificielle comme des outils de travail dont il fût dommage de ne pas tirer profit ; et qu’il avait pris l’habitude, pour sa part, de confier la rédaction de tel ou tel document à ChatGPT.
Bientôt, répondit notre homme, les algorithmes penseront pour vous en toutes occasions ; et vous serez content.
∗
Notre homme se déclarait médecin des âmes.
Une fois, il s’approcha de personnes qui formaient une file d’attente face au comptoir d’un marchand de glaces, et leur demanda : Vos rêves sont-ils sucrés ?
T. C.
L’Écorce et la Pulpe 