Dans la préface de son recueil, Jean Richepin annonce au lecteur qui s’apprête à le feuilleter : « Tu rencontreras des cantilènes1 de mendiants, des ballades de baladeurs2, des paysages, des coins de campagne, des bouts de rue, des petiots qui te demanderont l’aumône, des vieux, des marmiteux3, de franches canailles qui ont la main leste et la parole encore plus, mais aussi le cœur sur la main ».
La neige est triste. Sous la cruelle avalanche,
Les gueux, les va-nu-pieds, s’en vont tout grelottants.
Oh ! le sinistre temps, oh ! l’implacable temps
Pour qui n’a point de feu, ni de pain sur la planche !
Les carreaux sont cassés, la porte se déclanche,
La neige par des trous entre avec les autans4…
Des enfants, mal langés dans de pauvres tartans5,
Voient au bout d’un sein bleu geler la goutte blanche.
Et par ce temps de mort, le père est au travail,
Dehors. Le givre perle aux poils de son poitrail.
Ses poumons boivent l’air glacé qui les poignarde.
Il sent son corps raidir, il râle, il tombe, las,
Cependant que le ciel ironique lui carde,
Comme pour l’inviter au somme, un matelas6.
Jean Richepin,
La Chanson des gueux, 1881
1. Poèmes de forme brève et d’inspiration lyrique.
2. Personnes qui aiment à flâner, à paresser.
3. Personnes mal en point, misérables.
4. Vents forts et froids.
5. Châles ou plaids en laine.
6. Carder un matelas consiste à travailler la laine ou le crin qui le garnit de manière à lui redonner son épaisseur primitive.