Ode

Thé­o­phile de Viau se pro­met de vi­vre, en bon chré­tien, se­lon la sa­gesse an­ti­que…


Heureux, tandis qu’il est vivant,
Celui qui va toujours suivant
Le grand maître de la nature
Dont il se croit la créature !
Il n’envia jamais autrui,
Quand tous les plus heureux que lui
Se moqueraient de sa misère ;
Le rire est toute sa colère ;
Celui-là ne s’éveille point
Aussitôt que l’aurore point
Pour venir des soucis du monde
Importuner la terre et l’onde ;
Il est toujours plein de loisir ;
La justice est tout son plaisir,
Et, permettant en son envie1
Les douceurs d’une sainte vie,
Il borne son contentement
Par la raison tant seulement2 ;
L’espoir du gain ne l’importune,
En son esprit est sa fortune ;
L’éclat des cabinets dorés,
Où les princes sont adorés,
Lui plaît moins que la face nue
De la campagne ou de la nue3 ;
La sottise d’un courtisan,
La fatigue d’un artisan,
La peine qu’un amant soupire,
Lui donne également à rire ;
Il n’a jamais trop affecté4
Ni les biens ni la pauvreté ;
Il n’est ni serviteur ni maître ;
Il n’est rien que ce qu’il veut être ;
Jésus-Christ est sa seule foi :
Tels seront mes amis et moi.


Théophile de Viau,
Les Œuvres du sieur Théophile, 1621


1. À son en­vie.
2. Seu­le­ment par la rai­son.
3. Du ciel.
4. Dé­siré, re­cher­ché vi­ve­ment.

Qui voudra

Qua­li­fié de « roi des li­ber­tins » par un pré­di­ca­teur jé­suite, Thé­o­phile de Viau mon­tre dans ce court po­ème son sens aigu du sa­cré.


Qui voudra1 pense à des empires,
Et, avec des vœux mutins2,
S’obstine contre ses destins,
Qui toujours lui deviennent pires.
Moi, je demande seulement,
Du plus sacré vœu de mon âme,
Qu’il plaise aux dieux et à Madame,
Que je brûle éternellement.

Théophile de Viau,
Les Œuvres du sieur Théophile, 1621


1. Que ce­lui qui vou­dra.
2. Qui tra­dui­sent un ca­rac­tère in­sou­mis, re­belle, porté à la ré­volte.