À Mademoiselle de Lenclos

Voici, avec ce po­ème sous-titré « Étren­nes », des vœux de bonne for­tune que Paul Scar­ron adressa à Ni­non de Len­clos1 pour la nou­velle an­née :


Ô belle et charmante Ninon,
À laquelle jamais on ne répondra non,
Pour quoi que ce soit qu’elle ordonne
Tant est grande l’autorité
Que s’acquiert en tous lieux une jeune personne,
Quand avec de l’esprit elle a de la beauté.

Puisque hélas à cet an nouveau
Je n’ai rien d’assez bon, je n’ai rien d’assez beau
De quoi vous bâtir une étrenne,
Contentez-vous de mes souhaits ;
Je consens de bon cœur d’avoir grosse migraine,
Si ce n’est de bon cœur que je vous les ai faits.

Je souhaite donc à Ninon
Un mari peu hargneux, mais qui soit bel et bon,
Force gibier tout le carême,
Bon vin d’Espagne, gros marron,
Force argent sans lequel tout homme est triste et blême
Et qu’un chacun2 l’estime autant que fait Scarron.

Paul Scarron,
Recueil de quelques vers burlesques, 1643


1. Cé­lè­bre cour­ti­sane.
2. Et que cha­cun.

Sonnet

Ce po­ème est imité d’un son­net de Lope de Vega, un au­teur du Siè­cle d’or es­pa­gnol.


Superbes monuments de l’orgueil des humains,
Pyramides, tombeaux dont la vaine structure
A témoigné que l’art, par l’adresse des mains
Et l’assidu travail, peut vaincre la nature !

Vieux palais ruinés, chefs-d’œuvre des Romains
Et les derniers efforts de leur architecture,
Colisée, où souvent ces peuples inhumains
De s’entre-assassiner se donnaient tablature1.

Par l’injure des ans vous êtes abolis,
Ou du moins la plupart vous êtes démolis !
Il n’est point de ciment que le temps ne dissoude2.

Si vos marbres si durs ont senti son pouvoir,
Dois-je trouver mauvais qu’un méchant pourpoint3 noir
Qui m’a duré deux ans soit percé par le coude ?

Paul Scarron,
Les Œuvres burlesques de Mr Scarron – IIIe partie, 1651


1. Se don­naient du mal pour.
2. Li­cence pour la rime.
3. Vê­te­ment d’homme, en usage du XIIIe au XVIIe siè­cle en Eu­rope, qui cou­vrait le tor­se jus­qu’au-dessous de la cein­ture.