Étiquette : Diogène XXI

Une au­tre fois, il en­ten­dit quel­qu’un té­moi­gner à la ra­dio sur la con­som­ma­tion de dro­gues à des fins sexu­el­les :

« La ca­thi­none ac­croît l’en­du­rance phy­si­que, mais aussi le dé­sir, les sen­sa­tions. La moin­dre ca­resse élec­trise… Et puis, c’est une sub­stance qui dé­sin­hibe : on est très vite à l’aise pour se met­tre à poil et bai­ser de­vant tout le monde.

En com­plé­ment, tu peux pren­dre du GHB : ça per­met de se re­la­xer, de con­tre­ba­lan­cer la fré­né­sie due à la ca­thi­none. Il faut ce­pen­dant sa­voir en es­pa­cer les pri­ses, si­non tu ris­ques de gâ­cher ta soi­rée en t’en­dor­mant.

Quand les ef­­fets re­tom­bent, tu peux snif­fer de la co­ca­ïne. En fait, il n’y a pas de cock­tail idéal ; tout dé­pend de l’état re­cher­ché.

Avec la dro­­gue, sur­tout, tu as des par­te­nai­res plus fa­ci­le­ment. Tu es aus­si­tôt en phase avec d’au­tres per­son­nes. »

Ces quel­ques pro­pos lui suf­fi­rent.

Quand un homme se vautre
Comme un pantin fébrile
Dans les plaisirs charnels,
Il se transforme en loup.

Ce car­nas­sier est en ef­fet si vo­race qu’il se nour­rit à l’oc­ca­sion de chair cor­rom­pue, de cha­ro­gnes.

T. C.

Le co­chon est con­damné à se goin­frer. À la grande ca­pa­cité de son es­to­mac ré­pond en ef­fet un sens du goût gros­sier qui ne re­chi­gne à au­cun ali­ment. Il pos­sède quarante-quatre dents, dont qua­tre dé­fen­ses qu’il doit émous­ser parce qu’el­les ne ces­sent de croî­tre. Par ail­leurs, ses in­ci­si­ves pré­sen­tent une forte in­cli­nai­son et s’ap­pli­quent mal, au re­pos, les unes con­tre les au­tres ; aussi n’est-il pas na­tu­rel pour lui de gar­der long­temps la gueule fer­mée.

Quand quelqu’un s’abandonne
Au plaisir de manger,
S’affaissant sur lui-même
Comme une poupée molle,
Il devient un cochon.

T. C.

Un pitbull aux longs crocs,
Qui semait où qu’il fût
La panique à la ronde,
Poursuivait avec hargne
Les gens qu’il voyait fuir ;
Il mordait ses victimes
Et parfois s’acharnait
À les mettre en lambeaux.

Mais il advint qu’un homme
Se planta devant lui ;
L’animal se figea,
Quelque temps stupéfait,
Puis s’éloigna, craintif.

Lors des jours qui suivirent,
Cet homme se montra
Toujours prêt à se battre
Et devint promptement
Familier au gros chien.

Celui-ci, plein de fougue,
À la fin le fêta.

La faim, le froid, le bi­tume, l’in­dif­fé­rence et le mé­pris ne sont des maux ter­ri­bles qu’à me­sure de notre ap­pré­hen­sion.

Faites-leur face, et vous les vain­crez.

T. C.

Il y avait un lé­vrier sou­ple, élé­gant, dont la robe grise avait des re­flets bleus ; il ga­gnait ré­gu­liè­re­ment le pre­mier prix de sa race à des ex­hi­bi­tions ca­ni­nes et fai­sait la fierté de son éle­veur.

Ce cham­pion pourtant ne trou­vait pas d’ac­qué­reur :
– Quelle al­lure ! s’ex­ta­siait un vi­si­teur. Quelle sil­hou­ette ef­fi­lée !
– Comme il doit cou­rir vite, ajou­tait son voi­sin…
– Il est à ven­dre, vous sa­vez ?
– Oh, un tel chien n’est pas pour moi.

Lors de ces évè­ne­ments, il voyait avec dé­pit d’au­tres chiens, moins beaux que lui mais plus mi­gnons, trou­ver un maître. Des bi­chons, des chi­hua­huas, des ca­ni­ches nains, éper­dus d’amour pour l’homme qui les avait choi­sis, quit­taient, la queue fré­til­lante et la poi­trine gon­flée, le hall d’ex­po­si­tion où il de­meu­rait.

Chacun loue l’excellence
Et l’admire de loin ;
Personne cependant
Ne tâche de l’atteindre.

Redoutant les échecs,
Les souffrances et l’effort,
Les hommes lui préfèrent
Des bonheurs miniatures…

T. C.

Les hommes riches
Font ce qu’ils veulent ;
Les hommes pauvres
Font comme ils peuvent.

∗

Un jour qu’il était dans le Sud, il parla ainsi :

J’aime le so­leil qui dé­nude les corps.

Quand un homme pau­vre, mai­gre et vi­gou­reux, rompu à l’ef­fort, af­fermi, tra­vaillé par les cha­leurs et la froi­dure, passe près d’un homme ri­che, nourri à la carte, et le voit es­souf­flé dans ses traits in­dé­cis, qui des deux est l’ob­jet du mé­pris de l’au­tre ?

C’est pour cela que les va­can­ciers opu­lents pré­fè­rent les pis­ci­nes de leur mai­son se­con­daire ou des hô­tels qu’ils fré­quen­tent. Ils sont au bord de la mer, mais se bai­gnent dans des bas­sins d’eau chlo­rée.

T. C.

Un jour, il sur­prit cette con­ver­sa­tion qui le fit rire :
– Je suis naze, je n’ai pres­que pas dormi. Cette nuit déjà, j’étais crevé ; j’ai pris du speed pour te­nir jus­qu’au mé­tro du ma­tin.
– Tu n’as pas em­prunté le der­nier de la nuit ?
– Vers 2 heu­res ? À ce moment-là, je croyais que j’al­lais con­clure avec une fille.
– Ah ?
– Un fiasco. Elle s’est fait of­frir deux cou­pes de cham­pa­gne, et puis elle m’a snobé.
– Sympa… Du coup, sen­ti­men­tal comme tu es, tu au­rais trouvé trop triste de ren­trer seul en taxi.
– Et j’avais as­sez dé­pensé. Ils abu­sent un peu sur les prix, au Pa­lace.
– C’est vrai.
– Il me res­tait un ca­che­ton, alors j’en ai pro­fité… Et toi ?
– Soi­rée tran­quille chez An­toine. Le re­pas qu’il nous avait pré­paré était bon et su­per co­pieux, comme d’ha­bi­tude.
– Tu as bonne mine, en tout cas.
– J’ai pensé au ci­trate de bé­ta­ïne…

T. C.

Cette an­née, nous vous pro­po­sons un cy­cle sur Dio­gène de Si­nope. Le 15 de cha­que mois, nous pu­blie­rons un frag­ment d’un long po­ème sur le phi­lo­so­phe cy­ni­que au­quel tra­vaille Tris­tan Co­lo­vray.

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Notre homme voyait les gens oc­cu­pés de leur por­ta­ble en per­ma­nence. Ils s’en ser­vaient pour pren­dre des pho­tos d’eux-mêmes, des lieux qu’ils vi­si­taient ou de ce qu’ils man­geaient au res­tau­rant.

Ils y re­gar­daient aussi des cho­ses, et y jou­aient à des jeux vi­déo. Il y avait aux cafés des cou­ples d’amou­reux dont l’un sor­tait son smart­phone dès que l’au­tre par­tait aux toi­let­tes. Par­fois, tous les mem­bres d’une fa­mille ou d’une ta­blée d’amis pia­no­taient en même temps.

Ils allaient à la bi­blio­thè­que afin de re­char­ger leur ap­pa­reil à une prise élec­tri­que. Pen­dant ce temps, ils le gar­daient en main et s’y ab­sor­baient.

Un jour qu’il voya­geait en train, s’étant aperçu que tous les pas­sa­gers au­tour de lui étaient pen­chés sur des écrans, il se leva et par­cou­rut les wa­gons en ré­pé­tant cette phrase :

Parmi les ombres
Et les esclaves,
Je cherche un homme
Qui vive droit…

T. C.