Qui est Charles d’Orléans ?

Sa vie

Char­les d’Or­lé­ans naît en 1394. Son père, Louis d’Or­lé­ans, est le fils ca­det de Char­les V, qui ré­gna sur la France de 1364 à 1380. Sa mère, Va­len­tine Vis­conti, est la fille du duc de Mi­lan.

Il est donc le ne­veu du roi Char­les VI, mais il ne gran­dira pas à la cour. Le sou­ve­rain est alors en proie à des ac­cès de fo­lie ; les ru­meurs ac­cu­sent Va­len­tine Vis­conti, dont il se se­rait trop épris, d’être la cause de ces dé­ran­ge­ments. Celle-ci se ré­fu­gie dans les do­mai­nes de son mari, où elle élè­vera ses en­fants.

En 1407, le duc de Bour­go­gne Jean sans Peur fait as­sas­si­ner son cou­sin Louis d’Or­lé­ans. Ce meur­tre a lieu à Pa­ris, en pleine rue, un soir de no­vem­bre. Il s’agis­sait de se dé­bar­ras­ser d’un ri­val po­li­ti­que. En vain, la jeune veuve ré­clame jus­tice au­près du roi. Elle adopte pour de­vise : « Rien ne m’est plus, plus ne m’est rien » et meurt un an plus tard, dit-on, de cha­grin.

Très jeune, Char­les de­vient ainsi duc d’Or­lé­ans et comte de Blois, dans une France dé­chi­rée, en guerre con­tre l’An­gle­terre et me­na­cée par l’ap­pé­tit de pou­voir des Bour­gui­gnons. Il épouse Bonne d’Ar­ma­gnac en 1410. Dé­sor­mais, les mai­sons d’Ar­ma­gnac et d’Or­lé­ans ré­sis­te­ront en­sem­ble au duc de Bour­go­gne : c’est la que­relle des Ar­ma­gnacs et des Bour­gui­gnons.

En 1415, à vingt et un ans, il par­ti­cipe à la ba­taille d’Azin­court. Lors de ce com­bat dé­sas­treux où la che­va­le­rie fran­çaise s’em­bourbe et se laisse sub­mer­ger par les ar­chers an­glais, il est blessé, puis cap­turé ; il de­vient pour les An­glais un pri­son­nier po­li­ti­que de poids. Il vi­vra en cap­ti­vité vingt-cinq ans, dans des con­di­tions plus ou moins pé­ni­bles selon les rap­ports qu’en­tre­tien­nent les deux pays. Au cours de ces an­nées, il se met à la po­é­sie ; il écrit une cen­taine de bal­la­des. Sa femme meurt.

Il est li­béré en 1440 con­tre une forte ran­çon et la pro­messe faite au roi d’An­gle­terre d’œu­vrer au re­tour de la paix. Il épouse Ma­rie de Clè­ves, nièce du duc de Bour­go­gne Phi­lippe le Bon. La guerre de Cent Ans s’achève qua­tre ans plus tard. Char­les d’Or­lé­ans aban­donne la vie pu­bli­que et se re­tire dans son châ­teau de Blois.

Jus­qu’à sa mort en 1465, il y tient une cour po­é­ti­que où il ac­cueille les écri­vains et or­ga­nise des tour­nois lit­té­rai­res. Fran­çois Vil­lon sé­journe un temps chez lui. Du­rant cette pé­riode, Char­les d’Or­lé­ans com­pose plus de trois cents ron­deaux.

Âgé de plus de soi­xante ans, il a trois en­fants avec Ma­rie de Clè­ves, deux fil­les et un gar­çon. Ce der­nier sera le roi de France Louis XII.

Son œuvre

Dans le vo­lume de son His­toire de France con­sa­cré à Char­les VI, Ju­­les Mi­che­let évo­que Char­les d’Or­lé­ans en ces ter­mes :

Sa cap­ti­vité dura pres­que au­tant que sa vie. Tant que les An­glais pu­rent croire qu’il avait chance d’ar­ri­ver au trône, ils ne vou­lu­rent ja­mais lui per­met­tre de se ra­che­ter. Placé d’abord dans le châ­teau de Wind­sor avec ses com­pa­gnons, il en fut bien­tôt sé­paré pour être ren­fer­mé dans la pri­son de Pom­fret ; som­bre et si­nis­tre pri­son, qui n’avait pas cou­tume de ren­dre ceux qu’elle re­ce­vait ; té­moin Ri­chard II.

Il y passa de lon­gues an­nées, traité ho­no­ra­ble­ment, sé­vè­re­ment, sans com­pa­gnie, sans dis­trac­tion ; tout au plus la chasse au fau­con, chasse de da­mes, qui se fai­sait or­di­nai­re­ment à pied, et pres­que sans chan­ger de place. C’était un triste amu­se­ment dans ce pays d’en­nui et de brouil­lard, où il ne faut pas moins que tou­tes les agi­ta­tions de la vie so­ciale et les plus vio­lents exer­ci­ces, pour faire ou­blier la mo­no­to­nie d’un sol sans ac­ci­dent, d’un cli­mat sans sai­son, d’un ciel sans so­leil. Mais les An­glais eu­rent beau faire, il y eut tou­jours un rayon du so­leil de France dans cette tour de Pom­fret. Les chan­sons les plus fran­çai­ses que nous ayons y fu­rent écri­tes par Char­les d’Or­lé­ans. No­tre Bé­ran­ger du quin­zième siè­cle, tenu si long­temps en cage, n’en chanta que mieux.

C’est un Bé­ran­ger un peu fai­ble, peut-être ; tou­jours bien­veil­lant, ai­ma­ble, gra­cieux ; une douce gaieté qui ne passe ja­mais le sou­rire ; et ce sou­rire est près des lar­mes. On di­rait que c’est pour cela que ces piè­ces sont si pe­ti­tes ; sou­vent il s’ar­rête à temps, sen­tant les lar­mes ve­nir… Viennent-elles, el­les ne du­rent guère, pas plus qu’une on­­dée d’avril.

En 1840, Ju­les Mi­che­let dresse le por­trait d’un po­ète dé­li­cat, alerte, éloi­gné des sen­ti­ments su­bli­­mes. Au­jour­d’hui, Char­les d’Or­lé­ans nous sem­­ble ba­din, voire fu­tile. Pour­tant, s’il se mon­tre sans vel­lé­ité de gran­deur, il n’en est pas un au­teur moins pro­fond ; au con­traire…

Pour­quoi donc un tel ju­ge­ment ? Pour­quoi la pos­té­rité n’a-t-elle pas fait cette nu­ance ?

Parce que sa lan­gue est lim­pide et sem­ble cou­ler de source… Même si, comme chez Paul Ver­laine, cette ap­pa­rente sim­pli­cité est le fruit du la­beur et d’un rare ta­lent.

Parce que les po­è­mes de Char­les d’Or­lé­ans n’obé­is­sent pas tous à un or­don­nan­ce­ment. Il y a les bal­la­des de la pé­riode an­glaise, qu’il ar­ran­gera en re­cueils à la fin de sa cap­ti­vité, et les ron­deaux de Blois que le po­ète a con­si­gnés dans son ma­nus­crit au fur et à me­sure qu’il les a écrits, leur ad­joi­gnant cer­tai­nes pro­duc­tions de ses con­vi­ves… Ces courts tex­tes n’éri­gent donc pas de ca­thé­drale lit­té­raire, mais s’ou­vrent au dia­lo­gue et se dé­rou­lent avec le temps. Char­les d’Or­lé­ans a pra­ti­qué la po­é­sie en ar­ti­san aussi bien qu’en ar­tiste.

Peut-être aussi parce qu’on ima­gine sa cour po­é­ti­que par le prisme des en­lu­mi­nu­res de son siè­cle, sou­vent char­gées de feuil­les d’or.

Et sû­re­ment à cause de son po­ème le plus cé­lè­bre :

Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye,
Et s’est vestu de brouderie
De soleil luyant cler et beau.

Il n’y a beste ne oyseau
Qu’en son jargon ne chante ou crie :
        Le temps etc.

Riviere, fontaine et ruisseau
Portent, en livree jolie,
Gouttes d’argent d’orfaverie ;
Chascun s’abille de nouveau.
        Le temps etc.

L’ar­ri­vée du prin­temps est cer­tes un lieu com­mun de la po­é­sie mé­dié­vale, mais elle sou­le­vait une vraie joie à une épo­que qui n’of­frait pas tout le con­fort que nous con­nais­sons, où l’hi­ver était dif­fi­cile à tra­ver­ser.

La po­é­sie de Char­les d’Or­lé­ans sonne juste ; toute dif­fé­rente de l’image qu’on s’en fait, elle est bi­gar­rée, d’une grande ri­chesse…

Tra­vaillé par le temps qui passe, l’im­per­ma­nence des cho­ses et des sen­ti­ments, la vieil­lesse, les mas­ca­ra­des so­cia­les, la va­nité du monde, la so­li­tude, Char­les d’Or­lé­ans est un po­ète mé­lan­co­li­que. Mais il nous dé­route ; son ly­risme ne pro­cède pas de l’épan­che­ment ro­man­ti­que au­quel nous as­so­cions spon­ta­né­ment un tel re­gis­tre. Il est porté par une lu­ci­dité crue et cin­glante, sans con­ces­sion. Char­les d’Or­lé­ans se re­fuse à l’in­fini si­ru­peux, c’est pour­quoi il ne se dé­par­tit ja­mais de son iro­nie. Il sou­rit de tout, et d’abord de lui-même ; il reste lé­ger. Sa po­é­sie est une élé­gance de l’âme.

T. C.

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